La participation citoyenne à l’épreuve de l’extractivisme :
Le cas d’Authier Lithium

Dans les trois dernières décennies, le Canada s’est positionné comme une figure prédominante dans le secteur minier. En raison des nombreux avantages légaux et fiscaux qu’il offre, le pays a su attirer les grandes compagnies minières dont 75% des sièges sociaux sont enregistrés au Canada, bien que leurs activités soient réparties partout à travers le monde1. Au Canada, le Québec compte le plus grand nombre de mines de minerais métalliques au pays. En 2018, on comptait près de trente projets miniers à l’étude2. Malgré une volonté non dissimulée du pouvoir politique d’attirer les promoteurs miniers, les projets extractifs au Québec suscitent de plus en plus de débats au sein de la société, notamment en raison de leurs impacts environnementaux2.

C’est notamment le cas du projet de mine de Lithium en Abitibi appelée peu imaginativement Authier Lithium. Ce projet, piloté par Sayona Québec inc. (SQI)3, est un cas particulièrement intéressant à étudier. En effet, à la suite de son acquisition par SQI en 2016, de nombreux citoyen·ne·s ont fait part de leur inquiétude face à la proximité entre la mine et l’esker Saint-Mathieu-Berry qui fournit une grande partie de la région en eau potable4. Les citoyen·ne·s se sont ensuite organisé·e·s sous le groupe Comité citoyen de protection de l'esker pour réclamer une étude du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE)5. L’étude de ce cas révèle les insuffisances des mécanismes institutionnels de participation citoyenne dans le cas des projets extractifs en région éloignée en étudiant le cas du projet minier de SQI.

Le BAPE comme outil de participation institutionnel

Fondé en 1978 avec pour objectif d’institutionnaliser la participation citoyenne dans les projets ayant de forts impacts environnementaux, le BAPE se présente comme une institution qui incarne un véritable idéal participatif au Québec6. Si cela s’avère vrai pour la majorité des industries, ce n’est pas le cas de l’industrie minière pour laquelle aucun projet minier ne semble avoir été refusé par le gouvernement malgré, dans certains cas, des recommandations défavorables de la part du BAPE7. En outre, même si on peut se réjouir que le BAPE fasse désormais appel aux comités citoyens de suivi et de vigilance dans ses recommandations6, on observe que la confiance s’effrite vis-à-vis cette institution faute de suivi de ces recommandations par le gouvernement dans le cas des grands projets miniers. Bien que cette reconnaissance du « savoir citoyen » est une pratique qu’il faut saluer puisqu’elle peut permettre de bonifier les projets ayant un impact sur le territoire, le risque d’instrumentalisation de la parole citoyenne constitue un danger bien présent, particulièrement dans le cas de projet d’exploitation des ressources naturelles8. Nonobstant ces enjeux, il s’agit pourtant d’un des seuls recours pour les personnes qui se mobilisent à l’encontre d’un projet minier, particulièrement en régions éloignées, comme c’est le cas en Abitibi. En effet, ces dernières ne bénéficient pas d’un accès direct aux grands médias québécois qui leur permettraient de plaider leur cause et ainsi gagner un appui auprès de la population. Concrètement, pour que ces enjeux atteignent les médias sur les scènes provinciale et fédérale, un énorme travail doit être réalisé sur la scène locale pour sensibiliser les populations aux enjeux liés à l’implantation d’une minière sur leur territoire. Toutefois, dans le contexte des régions éloignées, ce travail n’est pas toujours possible en raison d’un manque de ressources tant humaines que matérielles9.

Les lacunes de la participation institutionnelle

Le fait que les décisions prises par l’État se justifient largement par une rhétorique néolibérale et sur une volonté de laisser la plus grande place possible au secteur privé, crée un déséquilibre clair dans les rapports de pouvoir entre l’entreprise privée et les citoyen·ne·s10. Cela se fait particulièrement ressentir dans le contexte de l’exploitation des ressources naturelles, qui a permis au secteur privé de prendre une place grandissante dans l’établissement des politiques publiques ainsi que dans les orientations qui ont déterminé les activités privilégiées sur un territoire donné11. De manière plus concrète, on remarque un cadre légal excessivement permissif à l’égard de l’industrie extractive. La protection de l’environnement est prise en charge par les entreprises, mais sous le couvert de la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Ce terme, issu directement du milieu des affaires, n’a aucune dimension contraignante pour les entreprises elles-mêmes puisque leur adhésion à ce concept se fait sur une base volontaire7. Ainsi, même si l’environnement représente un domaine d’action publique fort12, les mobilisations citoyennes sont à risque d’être marginalisées si des mesures concrètes ne sont pas implémentées par l’État.

Le cas d’Authier Lithium

En 2016, les études environnementales pour le projet Authier Lithium faites par SQI – une compagnie junior13 – débutent. Selon les documents présentés initialement, le volume d’exploitation déclaré par l’entreprise est de 1900 tonnes métriques de minerais par jour, à peine en dessous de la limite de 2000 tonnes établie dans le Règlement relatif à l’évaluation et l’examen des impacts sur l’environnement de certains projets (Règlement québécois Q-2, r. 23.1, 2018). De son propre aveu, la minière souhaite éviter la tenue d'audiences publiques par le BAPE en raison des délais que cela entraînerait et de la nécessité d'aller en opération rapidement considérant la volatilité du marché du Lithium14. Par ailleurs, les premières études publiées par le promoteur du projet font aussi mention d’une distance de 500 mètres entre l’esker et la mine à ciel ouvert, une information qui sera démentie plus tard, la distance réelle entre l’esker et la mine étant beaucoup moindre, soit quelques dizaines de mètres. Ce n’est qu’en 2018, soit deux ans plus tard, que les citoyen·ne·s ont vent de ce projet et décident de s’organiser en comité pour réclamer des consultations publiques indépendantes par le biais d’un BAPE sur le projet Authier.

La population locale n’a pas été surprise par le système des claims15 minier qui vend les ressources souterraines au plus offrant puisqu’il s’agit d’une réalité bien ancrée dans la région7. Cette dernière s’est toutefois mobilisée face au manque de transparence qui entourait l’entièreté du projet rendant le déficit démocratique du processus évident. Les diverses tactiques d’évitement employées par le promoteur du projet lors des consultations publiques témoignent effectivement d’un problème plus large, soit le manque de considération de la part des représentant·e·s du secteur minier à l’égard des populations locales, ou des « usagers du territoire » pour reprendre les termes de la compagnie16.

Le projet Authier Lithium sera finalement assujetti au BAPE après l’envoi d’une mise en demeure au ministre de l’Environnement par le comité citoyen de protection de l’esker ayant découvert que la minière prévoyait dépasser les 2000 tonnes d’extraction journalière réglementaires. Malgré la réjouissance face à cette nouvelle, la nécessité de passer par l’avenue légale pour obtenir une action de la part du pouvoir politique constitue une source d’inquiétude face aux futurs projets d’exploitation minière sur le territoire5.

Un cadre législatif ultra-permissif

De son côté, le gouvernement n’a aucunement favorisé une plus grande transparence des activités minières. Au contraire, il s’est positionné en faveur des intérêts des compagnies en se dotant d’une législation abusivement permissive qui entrave les citoyen·ne·s dans leur droit de regard sur le territoire qu’ils occupent2. À titre d’exemple, et outre les impressionnants congés fiscaux offerts aux minières, on peut citer la modification de la loi sur les mines faite par le Parti libéral du Québec (PLQ) en 2015, attestant que les entreprises minières ne sont plus contraintes de divulguer les informations relatives à leurs productions au public2. On assiste manifestement à une crise de légitimité face à l’industrie extractive qui cause une perte de confiance dans les institutions publiques. Face à ces constats, un ajustement est nécessaire de la part du gouvernement pour s’assurer d’une plus grande place dans l’espace public des questions liées aux projets d’exploitation des ressources naturelles. Par ailleurs, l’opposition entre les différents groupes – promoteur·trice·s, citoyen·ne·s et représentant·e·s élu·e·s – peut contribuer à la bonification d’un projet, voire même à l’élaboration de solution à des problèmes structurels8.

Les législations de complaisances qui favorisent à outrance le secteur extractiviste7 devraient être réévaluées pour permettre un réel débat. Il semble donc prioritaire de rétablir un certain équilibre entre les différents acteurs en jeu afin d’entamer un changement de paradigme. Il est aussi important de noter que ces cadres législatifs canadiens et québécois sont le « résultat de décennies de politiques du laisser-faire, tant à l’échelon provincial que fédéral »7(67). La notion même de régions-ressources révèle cette propension de l’État à considérer l’exploitation de son territoire comme quelque chose de fondamentalement souhaitable17. Malgré ces conditions, les mobilisations citoyennes perdurent tout de même en région et ont même cru en nombre et en intensité au cours des dernières années18. Cet accroissement de la participation citoyenne est bénéfique pour l’exercice de la démocratie, puisque plus les gens participent aux processus démocratiques, plus ils désirent y participer9.

Il apparait éminemment pertinent de traiter de ces enjeux dans le contexte de crise démocratique qui anime le monde actuellement. La participation citoyenne constitue un aspect essentiel d’une démocratie puisqu’elle contribue effectivement à l'amélioration des politiques publiques. Elle permet par ailleurs de restaurer un certain équilibre entre les différents pouvoirs qui régissent la société9 en plus d’augmenter le capital social, soit la « capacité d’agir solidairement du plus grand nombre d’hommes et de femmes conscient·e·s des enjeux et partageant une vision du bien commun »19(3). C’est ce capital social qui permet notamment un renforcement des liens communautaires essentiels dans un contexte de mondialisation.

Sara Germain

SECTION : RECHERCHE

1

Revenue of Canada’s top mining companies 2018. Statista. Accessed June 14, 2020. https://www.statista.com/statistics/593975/leading-mining-companies-in-canada-based-on-revenue.

2

Simard M. L’industrie minière au Québec : situation, tendances et enjeux. Études canadiennes / Canadian Studies Revue interdisciplinaire des études canadiennes en France. 2018;(85):193-217. doi:10.4000/eccs.1579.

3

SQI est une filiale de l’entreprise australienne Sayona Mining Ltd.

4

Deshaies T. Un projet minier aux abords d’un esker inquiète dans la MRC d’Abitibi. Radio-Canada. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1081599/un-projet-minier-aux-abords-dun-esker-inquiete-dans-la-mrc-dabitibi. Published February 1, 2018. Accessed July 23, 2020.

5

Deshaies T. Projet Authier : la mobilisation citoyenne se poursuit. Radio-Canada. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1157520/sayona-quebec-manifestation-amos-bape-environnement-authier. Published March 9, 2019. Accessed July 31, 2020.

6

Gauthier M, Simard L. Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement du Québec: genèse et développement d’un instrument voué à la participation publique. Téléscope. 2011;17(1):39-67.

7

Deneault A, Sacher W. Paradis sous terre: Comment le Canada est devenu la plaque tournante de l’industrie minière mondiale. 1st ed. Rue de l’échiquier; 2012.

8

Gendron C, Yates S, Motulsky B. L’acceptabilité sociale, les décideurs publics et l’environnement. Légitimité et défis du pouvoir exécutif. VertigO - la revue électronique en sciences de l’environnement. 2016;(Volume 16 Numéro 1). doi:10.4000/vertigo.17123.

9

Tremblay M, Sénéchal MR. Les quatre dimensions du « contrat de participation citoyenne » pour définir, orienter et évaluer la contribution du public. Le système sociosanitaire au Québec: gouvernance, régulation et participation. Published online 2006:431-450.

10

Bihr A. L’idéologie néolibérale. Semen Revue de sémio-linguistique des textes et discours. 2011;(30):43-56. doi:10.4000/semen.8960.

11

Chailleux S. De la revendication locale à la mise en cause globale : trajectoire du mouvement d’opposition au gaz de schiste au Québec. rs. 2015;56(2-3):325-351. doi:https://doi.org/10.7202/1034210ar.

12

Chaloux A, Dostie-Goulet E. Les groupes environnementaux québécois et leurs actions. Published online 2016.

13

Les mines dites juniors bénéficient d’un statut particulier et de nombreux avantages fiscaux, car elles sont souvent considérées comme des arpenteurs créant des richesses nécessaires à la prospérité de l’État. Dans la réalité il s’agit de compagnies n’ayant que peu d’expérience et donc plus vulnérables sur le plan financier.

14

Deshaies T. Projet Authier : des organismes unissent leurs voix et exigent l’intervention du gouvernement. Radio-Canada. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1100116/projet-authier-la-motte-sayona-mining-esker-organismes-intervention-gouvernement. Published May 9, 2018. Accessed July 31, 2020.

15

« Le claim est le seul titre minier d’exploration qui peut être délivré pour la recherche des substances minérales du domaine de l’État […] Le titulaire d’un claim a le droit exclusif de chercher, pour une période de deux ans, sur le terrain qui en fait l’objet, toutes les substances minérales qui font partie du domaine de l’État » (sauf certaines exceptions). Source : Ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN). Le claim. Published 2005. Accessed March 10, 2021. https://mern.gouv.qc.ca/publications/enligne/mines/claim/leclaim.asp.

16

Sayona Québec Inc L. Projet Authier.; 2018:799.

17

Fournis Y, Fortin M-J. Repenser le partage de l’espace dans les « régions-ressources » québécoises. L’espace en partage : Approche interdisciplinaire de la dimension spatiale des rapports sociaux. 2017; doi :10.4000/books.pur.141737.

18

Lapierre A, Izaguirré-Falardeau G. L’Abitibi-Témiscamingue: Région militante. L’Indice bohémien. http://www.indicebohemien.org/articles/2020/03/l-abitibi-temiscamingue-region-militante#.XpDMii17QWo. Published April 2020. Accessed July 31, 2020.

19

Thibault A, Lequin M, Tremblay M. Cadre de référence de la participation publique (Démocratique, utile et crédible). Conseil de la santé et du bien-être; 2000:23.