Si je devais résumer mon processus rédactionnel jusqu’à ce jour, j’écrirais ceci : 1 :00 :02.
Cette suite de chiffres oh combien censés à mes yeux.
Pris, emprisonné dans un rythme de réflexion, d’associations d’idées, d’essais de
vulgarisation de centaines de pages lues, il était primordial pour moi d’associer toute
cette boulimie intellectuelle à quelque chose qui allait m’aider à la rédaction, à
verbaliser concrètement ce que je voulais exprimer sur papier, à rendre la chose
beaucoup moins dure en quelque sorte. Involontairement sont venues à moi des
sonorités bien particulières qui étaient, sont et seront toujours des échappatoires, des
résonances calmant mon anxiété qui me tétanise parfois. J’avais besoin d’un monde
parallèle dans lequel j’allais évoluer, un univers qui allait me préserver tout en me
prenant par la main, me rassurer. J’ai pris le parti de rythmer mon temps accordé à ma
maîtrise - à l’enseignement et à la rédaction- avec un cocon créatif et reposant, de
m’enfermer dans ce que je connaissais le mieux. Un artiste m’a accompagné et
m’accompagne encore aujourd’hui, c’est Bjørn Lynne. L’idée d’écouter de la musique en
lisant et en rédigeant vient de l’envie que j’ai eue au début de ma maîtrise de travailler
dans des cafés, pour faire comme tout le monde pour être franc. J’ai vite constaté que
ces environnements remuants et plein de joie allaient me faire basculer dans un mode
récréatif plutôt que productif. Il fallait définitivement que je m’en éloigne. De fil en
aiguille, sans vraiment le vouloir, je suis tombé sur cette piste musicale m’apaisant au fil
des secondes et des minutes. L’envie est venue de l’écouter et de l’apprécier dans un
endroit calme et quelque peu confiné, disons. Cet endroit allait être ma chambre (ma
grotte), l’endroit où je laisse tomber la garde. Cette musique que j’écoute parfois
pendant 8 heures d’affilée sans prendre conscience de ce qui m’entoure est un vrai
moment de déconnexion presque totale, comme si, seul dans mon havre de paix,
entouré de mes livres annotés et raturés, je m’offrais la possibilité de quelques heures
de méditation conjuguées à quelques moments de réflexion et d’écriture. Une pièce
musicale m’aidant à digérer le plus convenablement possible les atrocités que j’ingurgite
pour les bienfaits d’une compréhension académique et personnelle. Toutes ces photos
de victimes, quelques fois en pleurs, tantôt ensanglantées, ces lignes froides racontant
ces tueries de masse affreuses, dévoilant les identités et les photos des responsables de
ces passages à l’acte déraisonnables pratiquement sûrs de passer à la postérité, hantant
mon esprit nuit après nuit. Dans l’Homme Révolté, Camus cite Kaliaïev en disant : «
Peut-on parler de l’action terroriste sans y prendre part ?». À cela et à quelques égards,
je rajouterais : peut-on se perdre dans une recherche scientifique sur les tueries de
masse sans une compassion tellement forte qu’elle nous changerait à jamais ? Que
notre vision de la vie serait modifiée, que notre humeur serait changée à jamais, que
l’on deviendrait une personne tourmentée. À ces différentes étapes, je me suis vu
changer intellectuellement et la musique a été très importante pour moi. Bande
originale de ma plongée au cœur de ce monde obscur, elle m’a donné l’impression
d’être accompagné. Tout ce processus rédactionnel a influencé mes compositions
musicales au sein de mes différentes formations, me libérant semaine après semaine de
ces pensées négatives que j’accepte, car elles sont le reflet de notre société, de son côté
malade. C’est avec ceci que je compose. Le rythme est l’égal de cet essai, un moyen
quelque peu désinvolte de laisser aller ma plume au tempo d’un malaise enfoui, d’un
malaise moderne de mon temps, d’un tiraillement entre la liberté et la contrainte, d’un
second souffle quand je me sens dans un moment d’étouffement face à toute cette
violence. C’est l’acceptation de cette cadence bruyante et déconstruite, régulant mes
compréhensions les plus surprenantes qui fait que finalement, j’irai au bout de cette
quête de reconnaissance, d’accomplissements, regardant timidement les hauts murs
d’une académie froide, parlant un langage que je ne comprends pas toujours, mais que
j’épouse, poussé par une pulsion chaude et enivrante me rappelant que moi aussi je fais
partie de cette famille, celle de la réflexion et de l’esprit critique.
Pierre-Martial Gaillard
Section 3 : Création